Récit : Tal Khola, "le canyon des Singes"

7 heure du matin, 1500 mètres d’altitude, le jour se lève sur la petite vallée de Tal. Les habitants de ce village, sont principalement des descendants ou exilés tibétain, et ils s’affairent depuis déjà un bon moment…

La clochette d’un moine tibétain carillonne dans la cour du lodge (gîte) où nous avons passé la nuit. C’est jour de fête aujourd’hui. Chaque année, pendant 10 jours, les moines passent dans chaque habitation afin d’enlever tous les drapeaux à prière et de bénir ceux qui seront dressés pour l’année à venir… Cette agitation matinale nous tire d’un profond sommeil réparateur ; nous descendons en terrasse pour déjeuner face à la seconde attraction du jour : une superbe cascade de 140 mètres fractionnée à mi-hauteur, c’est l’obstacle terminal de Tal Khola ! …
Notre hôte nous invite alors à goûter le « Chang » traditionnellement servi, plusieurs fois par matinée, en ces jours de fête : bière de millet, tiède, brassée à la main, couverte en surface d’une délicate mousse de beurre rance de yak, agrémentée de fromage sec du même animal et de grains de riz soufflés (le tout avoisinant les 12 % Alc.Vol. !). Après deux grands bols (tradition oblige !), il est tant de prendre le chemin du canyon tant convoité…



L’approche consiste tout d’abord à slalomer en courant entre deux averses de billots de bois (hic !). Les bûcherons de Tal ont en effet une curieuse méthode pour acheminer les troncs débités en montagne jusqu’au village mais oh combien rapide et efficace : ils balancent les billots depuis le haut de la falaise (env.300 m !) directement sur le vaste terrain bordant le village, la découpe en bûche s’effectue lors de l’impact, il ne reste plus qu’à les empiler !!
400 mètres de dénivelé plus haut, le paysage de haute altitude apparaît enfin, avec vue sur le massif du Manaslu (8100 m) et les sommets cernant Dharapani… Nous entrons dans une forêt luxuriante et sommes accueillis par de grands singes se jetant d’arbre en arbre à notre passage.

A 2000 mètres d’altitude, le chemin des bûcherons recoupe le rivière, et c’est face à un magnifique soleil que nous nous équipons… Kabindra, notre équipier népalais, empoigne le « perfo » après de brèves explications ;
il attaque la descente par une cascade de 30 m jusqu’à un palier d’où nous sauterons dans une belle marmite. Premier saut de six mètres pour Kabindra qui ne flotte que grâce à sa combinaison et à son « kit » !

Ce canyon est le plus ludique et le plus varié que nous ouvrirons : sauts et toboggan de 12 mètres, cascades en goulottes et surprises diverses agrémentent le début de la course.

Mauricio, équipe rapidement toute cette partie puis nous nous enfonçons dans la gorge cernée par une abondante végétation… C’est maintenant à mon tour de percer et d’ouvrir. La section suivante est très exotique : nous chevauchons une grande cascade d’une cinquantaine de mètres et enchaînons par de belles chutes en goulotte ; puis soudain, au détour de quelques ressauts, la surprise de notre séjour s’offre à nous : « l’arrosoir » !



Cet obstacle se présente comme un toboggan de vingt mètres dans lequel l’eau a sur-creusé une petite et étroite rigole qui se vrille subitement. L’eau jaillit alors en un parfait rideau tel un tuyau d’arrosage pincé. Je descends, passe à travers et me trouve, juste derrière, dans une bulle liquide de trois mètres de diamètre et parfaitement au sec ! Pour couronner le tout, la cascade continue sur encore vingt mètres… Tout simplement superbe…

Nous sommes alors à mi-parcours, ce canyon étant le plus haut en altitude que nous explorerons (bassin versant situé à 4500 m d’altitude !), c’est aussi le plus froid (T° de l’eau : 9°C). Une soupe chaude s’impose et Lionel prend la suite de l’équipement…

Il ouvre plusieurs petites cascades en goulottes et une autre belle chute de cinquante mètres, parfaitement lisse et verticale. Nous glissons pieds contre paroi (et sur corde !) d’un seul jet jusqu’à la grande marmite de réception. Nous arrivons ensuite à une goulotte de vingt mètres encombrée de deux troncs dénudés, mesurant vingt mètres eux aussi et d’au moins quatre vingt centimètres de diamètre ; témoins des énormes crues déferlant lors de la période de fonte ( fin du printemps, début de la mousson).

Nous franchissons quelques ressauts, une dernière cascade en « seringue » et nous arrivons enfin sur le seuil de l’obstacle terminal : une méga-chute de cent quarante mètres, fractionnée par un palier à mi-hauteur et s’écrasant dans le champs à une centaine de mètres du lodge et du village ! Cette cascade magnifique offre une vue imprenable sur Tal et, de ce fait, la moitié des villageois nous accueille, à son pied, souriants, curieux et interrogateurs…

Quelques minutes plus tard, après ces cinq heures de descente, au sec et devant un bol de « Chang », le bilan de la journée est unanime : ce canyon est vraiment grandiose et incontournable, c’est l’un des joyaux de l’Annapurna Himal. Sa variété et son accessibilité font de Tal Khola une des courses les plus intéressantes du secteur du haut Marsyangdhi…

Rod Sturm – « Canyon au Népal 2004 »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire