Récit : Jagat Khola, "Canyon majeur"

Répétition d’un canyon majeur « Jagat Khola » ( -1000m)
Horaire total : 15h

En dessous de moi vrombit « La Vrille », l’obstacle principal de Jagat Khola. Je suis longé au premier relais, sur une dalle lisse, à 90 m du sol. En contrebas, Rasesh ne parvient pas à passer la déviation qui empêche la corde de s’user sur le rocher. Suspendu dans le vide, il se démène pour passer l’obstacle et gigote comme un asticot accroché à un hameçon. Il fait frotter la corde juste en dessous de moi et je la cale sur ma chaussure pour la protéger de la roche coupante. Il est lourd et la corde tendue m’écrase le pied. Je vais devoir descendre et intervenir s’il ne se dégage pas rapidement.

Il faut dire que l’ambiance est impressionnante. Nous sommes dans la partie du canyon la plus encaissée et l’eau fait à cet endroit deux coudes successifs à 90 degrés, sur 100m de haut. Le premier se trouve juste derrière moi, à 15m sur la droite.  


La veine d’eau se précipite dans le vide quasiment à l’horizontal avant de venir percuter une grande paroi rocheuse verticale. Celle-ci se termine en un immense porche au-dessus de ma tête et le bruit que fait l’eau en se fracassant sur la roche se répercute en échos assourdissants dans cette cathédrale minérale.

Dans mon dos, le jet d’eau explose littéralement et des milliards de gouttelettes sont précipitées dans le vide le long de la paroi en un tonitruant ballet aérien. C’est une vraie soufflerie. Je prends la douche et je dois faire un effort pour apercevoir Lionel à travers les gerbes d’eau. Il attend Rasesh au relais suivant, 80m plus bas, « protégé » des embruns par une petite alcôve située dans l’axe de l’énorme goulotte qui collecte l’eau. Les courant d’air glacés doivent le martyriser.

Rasesh réussit enfin à passer la déviation et me lance un regard qui en dit long. Il s’est fait peur. Je le vois rapetisser à mesure qu’il descend le long de la corde et il rejoint bientôt Lio, qui doit être sacrement content de le voir arriver. Je partage en silence son enthousiasme.

Juste en dessous d’eux le torrent vient de nouveau percuter le rocher à angle droit et l’eau est éjectée vers le haut en une magnifique gerbe en queue de paon. De mon perchoir j’ai l’impression que mes compagnons sont assis dessus. Rasesh doit passer à travers le rideau liquide pour atteindre la vasque terminale, 15m plus bas. Il disparaît quelques secondes sous l’écume… et réapparaît enveloppé dans la bulle liquide, c’est magnifique. Le temps de descendre et il est au sec, accueilli par les copains. J’ai dans l’idée qu’il se souviendra longtemps de la « Vrille » de Jagat Khola. Et moi aussi.

Nous continuons à nous enfoncer dans la vallée et les canyons deviennent longs et difficiles.

Certains paysages sont tout simplement grandioses (« grands cassés » de Syange, de Jagat ou de Chamje Khola). Des parties très encaissées alternent avec d’autres plus ouvertes envahies par la jungle, donnant alors un aspect très sauvage au canyon. Nous avons croisé des singes, vu des vautours et des perroquets ! Jagat et Chamje Khola sont vraiment des canyons de grandes classes, longs, techniques et engagés.

Nous tirons un bilan très positif de notre expédition. En 23 jours, nous avons entièrement rééquipé et topographié 11 canyons, représentant plus de 5000m de dénivelés cumulés et ouvert deux nouvelles courses. La vallée du Marsyangdhi est un paradis pour pratiquer l’activité et le secteur est prêt à accueillir les premiers pratiquants. Les approches sont soutenues mais accessibles et les marches retour quasiment inexistantes, les possibilités de logements nombreuses et de bonnes qualité, le cadre somptueux, les gens accueillants… Il ne manque que les canyoneurs.  

Yann Ozoux – « Canyon au Népal 2005 »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire